D’où vient L’Encyclopédie des migrants ? À qui doit-on sa genèse ? Quelles ont été les influences qui ont permis la naissance d’un tel projet ?
La première Encyclopédie, celle qui a inspiré son nom à notre projet, a vu le jour au XVIIIe siècle. Aussi appelée Le Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, elle est composée de vingt-huit volumes[1] et a été éditée de 1751 à 1772, sous la direction de deux célèbres penseurs des Lumières : Diderot et d’Alembert.
La création et le développement de l’Encyclopédie ont lieu dans un monde nouveau qui remet en cause toutes les connaissances et découvertes qui paraissaient jusque là inébranlables. En effet, l’Europe sort de sa période médiévale et de dix siècles d’obscurantisme. La représentation du monde a changé grâce à la révolution copernicienne[2]. De fait, l’astronomie, les mathématiques et les sciences en général mettent à mal les croyances répandues au Moyen Âge : cela s’oppose à la superstition qui y avait libre cours et évidemment, à l’Église.
Cette époque, promesse de nouveautés intellectuelles, de découvertes scientifiques et de réflexions philosophiques, est appelée le Siècle des Lumières et marque un tournant inévitable dans l’Histoire. En historiographie française, on place les Lumières à la fin du règne de Louis XIV en 1715, jusqu’à la Révolution française en 1789[3]. Ce nom symbolique de Lumières fait appel à la lumière métaphorique des connaissances et tend à faire de l’individu, un « homme éclairé », l’opposant de fait à l’homme médiéval, celui resté en arrière, dans l’obscurantisme.
Les idéaux des penseurs des Lumières sont nombreux : profondément anticléricaux, ils placent l’homme au centre de l’univers, détrônant de fait Dieu qui s’y tenait les siècles précédents. Ils s’interrogent sur l’homme et la femme, la société, la religion, sur des notions telles que le bonheur, la justice, la politique, l’égalité, la liberté et la tolérance. C’est un siècle riche, autant en découvertes scientifiques qu’humaines : les arts et les lettres prennent leur essor, la philosophie redevient un matériau fondamental pour développer l’esprit critique. Parallèlement, la censure grandit dans la presse et dans l’édition, poussant de nombreux philosophes[4] des Lumières à quitter la France. C’est le début de la pensée moderne de l’homme actuel.
C’est dans ce contexte que naît l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Elle a rassemblé autour d’elle, un nombre considérable de penseurs qui ont écrit et illustré plusieurs dizaines de milliers d’articles divers et variés[5]. En plus d’être un véritable symbole du Siècle des Lumières et une arme politique qui a permis de répandre ses idéaux en France et en Europe, cet ouvrage est aussi un condensé impressionnant de savoirs et de connaissances, qui vise à classifier le savoir humain et à le rendre plus accessible[6].
Aujourd’hui, le projet que nous menons se présente comme un détournement de la forme de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert. L’Encyclopédie des migrants réinvestit des détails aussi formels que techniques pour conserver l’aspect d’origine : une couverture en cuir, le format in folio (290 cm sur 450 cm), ou encore la division en trois tomes pour les 400 entrées et les 1700 pages attendues. Elle s’inscrit aussi dans son époque au travers d’une version numérique qui sera consultable librement et gratuitement pour permettre à un grand nombre de personnes d’avoir accès au corpus.
L’Encyclopédie du Siècle des Lumières nous avait habitués à des contenus scientifiques. Dans notre projet, ces contenus sont remplacés par des histoires de vie, des lettres manuscrites et des portraits photographiques. La forme artistique et les témoignages intimes sont la base de cette nouvelle Encyclopédie des migrants.
À partir de ce projet artistique, se posent forcément, au moment de sa réalisation, de nombreuses questions : quelles polices utiliser ? quel papier choisir ? à qui confier la réalisation de la reliure en cuir ? où conserver les ouvrages après leur publication ?
[1] Dix-sept volumes de texte et onze d’illustrations.
[2] Copernic démontre au XVIe siècle que la Terre tourne autour du Soleil alors que jusqu’à présent, on pensait que la Terre était immobile et centrale. Cette découverte a été défendue par Galilée au siècle suivant, grâce à l’invention de sa lunette astronomique.
[3] Évidemment, ces dates ne sont pas précises et définies. Il s’agit de se placer plus ou moins bien dans la chronologie historique.
[4] On a retenu de grands noms de cette époque : Montesquieu, Voltaire, Rousseau et Kant, entre autres.
[5] Hélas, elle a aussi dû faire face à de nombreux détracteurs qui ont tenté de la censurer avec l’appui de l’État et de l’Église.
[6] Moyennant alphabétisation et finances.